Canicule, sécheresse à rallonge, cours d’eau asséchés… Cette fois, ça y est, les dérèglements climatiques sont visibles. Même en Loire-Atlantique, territoire humide où l’eau paraissait abondante, nous prenons conscience de la nécessité d’économiser notre eau.
Dossier du magazine de Loire-Atlantique, paru en novembre 2022, cette question du partage de l'eau doit faire débat, pour nous adapter à de futures crises.

Dossier du Magazine Loire-Atlantique n°176 - Novembre/décembre 2022
Sommes-nous prêts à vivre avec moins d'eau ?
Une année 2022 trop sèche
Tout le monde l'a vécue en 2022 : une sécheresse longue et continue. Chaque mois, il a moins plu que la moyenne habituelle. Résultat : les cours d'eau ont été durablement en assec. Dès mai 2022, des arrêtés sécheresse ont limité notre usage de l'eau en Loire-Atlantique. Il ne faudrait pas l’oublier mais l’eau n’est pas réservée à nos usages humains. Mais les animaux, les plantes, les arbres ont aussi besoin d’eau. Grand témoin de notre territoire en matière d’eau, le lac de Grand-Lieu a souffert, comme les autres. Jean-Marc Gillier, directeur de cette réserve naturelle, raconte :
Les niveaux d’eau ont été très bas, proches des records de 2019 ou de 1976, sans les atteindre toutefois. Pendant la canicule de la fin juillet, le lac perdait 2 cm tous les 3 jours par évaporation. Il faisait tellement chaud que même des nénuphars, des plantes aquatiques, étaient quasiment brûlées, desséchées en surface.
Nous consommons de plus en plus d'eau
Les données sont implacables. L'année 2022 a été la plus sèche de la décennie.
Comparer les précipitations par année à la station météo Nantes-Atlantique
En parallèle, nous prélevons de plus en plus d'eau dans le milieu naturel pour nos besoins, avec une augmentation de 15 % en 10 ans. Cette augmentation s'explique par la hausse de la population mais aussi par des besoins croissants pour l'agriculture et l'industrie.
Voir l'évolution des prélevements en eau en Loire-Atlantique
L'eau une ressource précieuse
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Litres d'eau potable par jour et par personne. C'est que nous consommons en Loire-Atlantique. Seulement 7% sont bus.
- 15%
c'est en 10 ans l'augmentation des prélevements d'eau que nous avons réalisés dans le milieu naturel (Loire et nappes phréatiques), en 2010 et 2020.
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C'est le nombre de mois en 2022 où il a eu plu autant que d'habitude. Chaque mois, nous avons donc accumulé un déficit d'eau. En moyenne, il tombe 5.61 milliards de mètres cube de pluie. En 2022 (jusqu'en septembre), nous étions à 2.5 milliards seulement.
Aura-t-on de l'eau potable à l'avenir ?
Avant de répondre à cette question complexe, il faut bien comprendre d'où vient notre eau potable en Loire-Atlantique.
Une très grande majorité de notre eau vient de la Loire, avec le centre de captage de Mauves-sur-Loire, qui alimente l'agglomération nantaise.
L’usine de la Roche, gérée par Nantes métropole, produit à elle seule près de 32 millions de m3 d’eau potable par an. D’autres captages plus petits, à Férel, Saffré, Ancenis ou à Machecoul complètent nos besoins en eau.
Voir les chiffres de l'eau pour Nantes Métropole
Se renseigner sur la ressource en eau pour Atlantic'eau
Après utilisation, cette eau est ensuite traitée dans des stations d’épuration, puis rendue au milieu naturel. C’est ce qu’on appelle le petit cycle de l’eau, différent du grand cycle, naturel : évaporation, nuage, pluie, écoulement vers les océans et rebelotte.
Concernant l'eau potable, les distributeurs d'eau ont localement collaboré pour transférer de l'eau vers les territoires les plus en tension. Même si le débit de la Loire a atteint un plafond très bas, il était suffisant pour assurer nos besoins pour l'été 2022. Mais si le manque d'eau devait se prolonger cet hiver, la crise sera très aigüe dès le printemps prochain.
Deux problèmes majeurs : le bouchon vaseux et la qualité de l'eau à l'état naturel
Comme notre ressource en eau potable provient essentiellement de la Loire, elle est particulièrement observée. L'un des problèmes majeurs qui pourrait perturber notre alimentation en eau potable est un phénomène naturel appelé le bouchon vaseux : à chaque marée, l'océan rentre dans l'estuaire et repousse l'eau douce. En cas de grandes marées et de faible débit de la Loire, ce bouchon vaseux, avec des particules en suspension, peut remonter très en aval, jusqu'à Nantes. Le captage d'eau potable situé à Mauves-sur-Loire pourrait être temporairement hors service à cause de la dégradation de l'eau.
En savoir plus sur le bouchon vaseux par le GIP Loire-Estuaire
Autre problème, la trop mauvaise qualité de l'eau à l'état brut. Seulement 1% des masses d'eau est de bonne qualité écologique. Le reste subit des pollutions diverses (pesticides, matières organiques, pertubateurs endocriniens...).
Mickaël Derangeon, vice-président d’Atlantic‘eau, service public de l’eau en dehors des agglomérations, l’assure
Pour avoir une quantité suffisante d’eau potable, il faut avant tout améliorer la qualité de l’eau à l’état brut. Si on élimine les produits polluants que l’on trouve dans l’eau, notamment les pesticides agricoles, on pourra multiplier les possibilités de petits captages, pour sécuriser l’ensemble du système et diminuer les risques sur notre santé.

L'eau, dégradée et trop polluée à l'état naturel
En savoir plus sur la qualité de l'eau, grâce à l'observatoire départemental
Comprendre le lien entre la sécheresse et le réchauffement climatique
Le changement climatique, du fait de l’augmentation de l’évaporation liée à la hausse des températures, renforce l’intensité et la durée des sécheresses des sols.
Des explications à trouver sur le site de Météo France

L'adaptation indispensable face au changement climatique
L'Etat français a créé un centre de ressources pour s'informer sur l'adaptation au changement climatique.
Comprendre la crise mondiale de l'eau
La radio internationale RFI a réalisé une infographie très complète sur la question.
L'eau, une question globale d'aménagement
La crise de l'eau ne peut pas se résoudre uniquement par des écogestes des particuliers. Pour mieux gérer l'eau, il faut ralentir le cycle de l'eau. Des sols trop bétonnés et imperméables empêchent l’eau de pluie de pénétrer dans le sol et de recharger les nappes phréatiques et les cours d’eau. « Avec plus de haies, moins de béton, des continuités écologiques plus naturelles, on peut ralentir le cycle de l’eau, explique Nathalie Saur, de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne. L’eau coule moins vite, pénètre le sol et on se protège plus efficacement contre les inondations notamment en ville. »
Moins de béton, plus de nature
Le Département a également mis en place une réflexion pour limiter l’urbanisation et la bétonnisation des terres, la zéro artificialisation nette.
Les haies et les grasses prairies, alliées de l’eau
Témoignages d'éleveurs à Sainte-Anne-sur-Brivet

Associés de l’exploitation des Sablais à Sainte-Anne-sur-Brivet, Jonathan Lebas et Benoit Josse sont éleveurs de vaches laitières en bio. "On n’a pas besoin d’irriguer car nos terres sont essentiellement des prairies sur lesquelles broutent nos vaches
," précise Benoit.
Mais cet été, elles ont dû manger du fourrage pendant deux mois, « car l’herbe était grillée
». Certes, les animaux peuvent désormais pâturer une bonne partie des hivers, devenus plus doux, mais il faut dans ce cas être attentif à ce que cela n’abîme pas les sols :
« À une saison où la météo est plus fraîche et les jours plus courts, la terre est plus humide et avec le poids des bêtes, les sols ont tendance à se transformer en gadoue, ce qui n’est pas bon. »
Ayant la chance d’avoir un puits toujours en eau, les deux associés peuvent abreuver leurs 110 vaches et nettoyer les installations de traite sans souci. Pour l’instant. Ils n’en sont pas moins attentifs à la question de l’eau et participent à leur niveau à sa préservation.
Adapter les cultures
« On a une approche systémique : déjà on essaie d’introduire des graminées plus adaptées à la chaleur comme la fétuque élevée ou la luzerne et on a changé nos pratiques d’assolement. Ici on a un maillage bocager assez dense, avec des haies et des arbres qui servent d’obstacle au vent d’Est, très asséchant. Cela permet à certaines prairies de rester vertes quand d’autres grillent au bout de quelques semaines. Nous allons donc créer cette année 1 500 m de haies supplémentaires, en partenariat avec le Syndicat du bassin versant du Brivet. Des chênes et des châtaigniers vont être plantés pour protéger les terres et les plantations des effets asséchants du vent. Parallèlement, nous pratiquons aussi la régénération naturelle : nous avons arrêté de débroussailler au ras-du sol en bordure de clôture pour laisser les pousser les ronces. Elles protègent les jeunes arbres de l’appétit des chevreuils, abritent une importante biodiversité animale et leur système racinaire s’étend pour décompacter la terre en profondeur. Cela permet à l’eau de pluie de mieux s’infiltrer dans les sols.»
Laisser du temps à l'eau pour s'infiltrer
C’est aussi pourquoi Benoit et Jonathan organisent une rotation de culture assez longue. Exploitant 15 hectares de maïs et 10 hectares de céréales sur leurs 165 hectares, ils ne replantent jamais deux fois consécutives au même endroit et laissent les champs en prairies 6 ou 7 ans. « Cela permet à l’humus de se développer et de renourrir le sol qui est bien vivant. L’eau y pénètre mieux. Elle peut rejoindre les nappes phréatiques et aussi d’être mieux filtrée par les différentes strates sous-terraines. Les micro organismes se développent également mieux et enrichissent la terre, qui produit plus. C’est un cercle vertueux. »