Tout bio or not tout bio ?
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Tout bio or not tout bio ?

En janvier dernier, le monde agricole exprimait sa colère face à des revenus indignes et un excès de normes en tous genres. Des revendications en partie partagées par les agriculteurs et agricultrices bio, qui veulent aussi vivre correctement de leur travail sans pour autant rogner sur l’exigence environnementale. Ce modèle est-il compatible avec nos besoins ? En Loire-Atlantique, travailler la terre dans le respect de la biodiversité est un choix partagé par 25 % des exploitations. Des bobos décroissants mangeurs de graines ? Non, des femmes et des hommes qui s’adossent à la nature pour en tirer le meilleur et couvrir nos besoins alimentaires.

Le bio, un bon plan(t) ?

Nés à la ferme ou installés sur le tard, des agriculteurs et agricultrices bio vivent correctement de leur travail, sans chimie de synthèse ni élevages confinés.

Antoine Gineau, éleveur de vaches laitières en bio à Saint-Michel-Chef-Chef
Antoine Gineau, éleveur de vaches laitières en bio à Saint-Michel-Chef-Chef © P Pascal

« La terre ne nous appartient pas. On doit travailler avec notre environnement et le territoire local. » Antoine Gineau, 34 ans, a repris en 2014 la ferme familiale de 340 ha. Il est la 3e génération à produire et transformer son lait bio en yaourts et crèmes dessert à Saint-Michel-Chef-Chef. « Dans les années 60, mes grands-parents étaient vus comme des marginaux. Mais ils avaient un système qui marchait et qui rémunérait le travail. » Et c’est toujours le cas pour Antoine Gineau. Son troupeau de 85 vaches multi-races produit 450 000 litres de lait par an.

Le fait de transformer moi-même et de choisir mon prix de vente me permet de bien vivre, sans surproduction. Entre l’élevage, le labo et la vente, nous sommes 12 à vivre de l’exploitation. Moi, je suis à 80 % sur la partie agricole. Mes vaches sont à l’extérieur neuf mois de l’année et paissent surtout sur des prairies où l’on a planté du trèfle ou du ray-grass anglais. On y ajoute aussi des plantes médicinales, comme le fenouil que les vaches broutent selon leurs besoins. Il y a 14 variétés de plantes différentes sur nos prairies. Avec les céréales que je cultive à côté, je suis autonome à 100 % pour l’alimentation des vaches.

Vendant essentiellement en circuits courts sur les marchés ou à des restaurants scolaires, de l’école au lycée, il approvisionne aussi des grandes et moyennes surfaces locales : « Je vends au maximum à 70 km de distance. »

Le bio, c’est quoi ?

L’agriculture bio est la seule méthode qui n’utilise aucun pesticide ni engrais de synthèse et préserve le bien-être animal.

Pas forcément du terroir

À Assérac, Loïc et Violaine Lebrun sont maraîchers à la ferme des Salines. Installés en 2021, ils sont des NIMA, soit des « non issus du monde agricole ».

Ayant vécu quelque temps aux États-Unis, nous avons été confrontés à la difficulté de nous nourrir avec des produits sains, raconte Loïc. En cherchant des productions paysannes, nous avons rencontré des producteurs en agroécologie. De retour en France, nous nous sommes beaucoup documentés puis formés sur ces techniques. Puis nous avons pris la décision d’en faire notre projet de vie et j’ai passé un diplôme de responsable d'exploitation agricole.

Micro-ferme maraîchère

La ferme des Salines est une micro-ferme maraîchère de 1 ha. Elle se compose d’un tiers de zones humides, dont une mare creusée spécialement, de 1 200 m2 maraîchés en serre (non chauffée) et en extérieur, de 3 000 m2 de verger et d’espaces naturels, comme des haies et des fossés.

On ne peut pas faire 1 000 m2 de maraîchage bio entre quatre routes, affirme Loïc. Le modèle agroécologique a besoin de zones naturelles pour maintenir les équilibres entre faune, flore et eau.

Loïc et Violaine cultivent des légumes variés en maraîchage biologiquement intensif.

C’est une production qui vise à occuper la surface la plus restreinte possible sur des planches de cultures permanentes, avec un travail minimal du sol pour le maintenir vivant et une rotation importante des cultures. » On compte ici 70 bandes cultivées de 75 cm de large et 15 m de long.
S’y succèdent trois cultures différentes par an en moyenne en adaptant chaque fois la densité de plantation au légume : « 10 plants par largeur pour les radis, 1 pour les aubergines, 5 pour les épinards.


Travaillant essentiellement sans mécanique, Loïc et Violaine ont cependant investi dans un système d’irrigation au goutte à goutte qui réduit la consommation d’eau de 40 %. Elle et il écoulent leur production en vente directe à la ferme, deux fois par semaine.

La serre de la micro-ferme des Salines à Assérac
La serre de la micro-ferme des Salines à Assérac

Il y a évidemment des aléas, mais avec notre petite exploitation, on arrive à nourrir 50 familles par semaine sur neuf mois. Notre expérience conforte l’efficacité technique et économique de ce modèle qui permet de dégager un salaire décent, sur de petites surfaces.

Une agriculture plus équilibrée à l'échelle de la planète

Pour Stéphanie Pageot, ancienne présidente de la fédération nationale des agriculteurs bio - FNAB - et éleveuse de vaches laitières à Villeneuve-en-Retz :

Stéphanie Pageot, éleveuse de vaches laitières à Villeneuve-en-Retz, ex-présidente de la Fédération nationale des agriculteurs et agricultrices bio
Stéphanie Pageot, éleveuse de vaches laitières à Villeneuve-en-Retz, ex-présidente de la Fédération nationale des agriculteurs et agricultrices bio © P Pascal

Il ne faut pas produire plus mais produire mieux et la bio permet cela : nos bêtes mangent l’herbe des prairies, nous sommes en autonomie pour les alimenter. On n’a pas besoin d’importer du soja du Brésil, qui contribue à la déforesttaion et à la réduction des cultures vivrières locales. En arrêtant de surproduire, on évite aussi de concurrencer les paysans du sud (Afrique, Amérique du sud, etc..).

Bon pour l’emploi

Une ferme bio emploie en moyenne 2,4 personnes (équivalent temps plein) contre 1,15 en agriculture conventionnelle. Donnée du GAB 44 (Groupement des agriculteurs biologiques)

Attirer des jeunes

Aujourd’hui, avec de nombreux départs en retraite et la pression inflationniste, l’enjeu est que les fermes bio restent en bio !, poursuit Paul Charriau, éleveur et élu à la Chambre d’agriculture de Loire- Atlantique. Il faut reconquérir des parts de marché, pour avoir des exploitations plus rentables.

La qualité de vie est également un enjeu pour attirer dans la profession. Pour Stéphanie Pageot,

Il faut pouvoir accueillir de nombreuses personnes donc à la FNAB, on travaille aussi sur la qualité de vie qu’attendent les nouvelles générations : rentrer assez d’argent pour embaucher, pouvoir se faire remplacer pour prendre des vacances.

Avoir du temps pour soi, une nécessité pour Marion Denecheau, 33 ans, et son compagnon, qui ont créé leur ferme, Le jardin d’Aliwen, à Saint-Molf en 2021.

Marion, maraîchère en bio intensif à Saint-Molf
Marion, maraîchère en bio intensif à Saint-Molf © P Pascal

On adore ce métier. Cela a du sens de nourrir les gens autour de nous sans avoir un impact négatif sur la planète. Mais on veut aussi du temps pour nous : on ne travaille pas le week-end et on essaie de prendre cinq semaines de congés par an.

La restauration collective, une solution pour le bio

Après une forte progression entre 2015 et 2019 puis une explosion au moment du confinement, la consommation de produits bio a chuté ces deux dernières années. En France et localement, la filière s’organise, avec le soutien du Département.

L’agriculture bio en Loire-Atlantique est dynamique et très diversifiée, poursuit Stéphanie Pageot. Mais celles et ceux qui ne vendent pas en circuit court souffrent, car les consommateurs se sont détournés du bio avec l’inflation.

Présidente d’Interbio Pays de la Loire, Fanny Lemaire précise : « Si on applique la loi Egalim, le bio sera à nouveau en croissance. » Votée en plusieurs volets, cette loi devait d’abord rééquilibrer les relations commerciales en faveur du monde agricole face à l’industrie agroalimentaire et la grande distribution.

Aussi dans les cantines

Depuis le 1er janvier 2022, la loi Egalim impose 20 % de produits bio dans la restauration collective. Taux dépassé en moyenne dans les 74 restaurants scolaires des collèges publics de Loire-Atlantique avec 21,31 % de produits bio en 2023. Certains établissements, comme Anita-Conti à Saint-Nazaire, Cacault à Clisson ou encore Robert-Schuman à Châteaubriant, parviennent même à plus de 60 %. Le Département a aussi travaillé à la création d’un groupement de commandes pour faciliter l’achat bio et local des Ehpad, des collèges et des écoles.

Collégiens à la cantine au collège Bellevue à Guéméné-Penfao
Collégiens à la cantine au collège Bellevue à Guéméné-Penfao © Coralie Monnet

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On peut améliorer notre autonomie alimentaire et réduire la distance entre production et consommation, explique Ugo Bessière, élu en charge du projet alimentaire et agricole du Département. En plus du groupement de commandes pour la restauration collective, nous travaillons avec des territoires de Loire-Atlantique pour préserver le foncier agricole qui nous nourrit et faciliter l’accès à une alimentation locale de qualité pour tous et toutes. Avec, par exemple, des abattoirs plus près des exploitations ou en transformant le lait en yaourts et fromages directement sur place. Un retour au bon sens pour protéger les terres, manger mieux et offrir des débouchés - et donc des revenus - à nos agriculteurs. Et un système moins dépendant des importations et des énergies fossiles tout en conservant des échanges commerciaux de proximité pour pallier les spécificités des terroirs. Car autonomie alimentaire ne signifie pas autarcie alimentaire.

80 % de bio à la cantine de La Grigonnais

François Marquis est le responsable du restaurant scolaire de l’école de La Grigonnais. Il travaille en binôme avec sa collègue.

Cette cantine avait déjà une approche très vertueuse avant mon arrivée. J'ai poursuivi la démarche : nous sommes à 80 % de bio et le reste en produits locaux de qualité. Le bio est local à 60 % dans un rayon de 200 km. Exceptés certains fruits (agrumes, bananes, ananas…). Il y a besoin de temps pour habituer les enfants : au bout de 3 ou 4 fois sur des repas nouveaux qui déplaisent, on adapte la recette ; les légumineuses ça passe très bien si c’est bien cuisiné. La formation professionnelle est en train de changer. Moi je n’ai pas eu de formation à la cuisine végétarienne et c’est dommage. Ma collègue et moi nous sommes formés seuls mais il faut y aller. Les apports nutritifs sont supérieurs et tiennent mieux au ventre. C’est plus simple pour nous car avec 160 couverts, nous n’avons pas besoin de faire des appels d’offre. On a fait le choix d’avoir plus de fournisseurs : cela nous prend plus de temps mais c’est plus souple pour les quantités et les finances car on maîtrise mieux les coûts. Mon budget en coût matière est de 1.94 € HT par repas (22 000 repas enfants pas an) : ce n’est pas beaucoup pour du bio et local.

"L’agriculture bio peut nourrir le monde"

Jacques Caplat est agronome et anthropologue, coordinateur des dossiers agricoles à Agir pour l’environnement, coauteur de Une agriculture qui répare la planète (Actes sud). Il a répondu à nos questions.

Que pensez-vous du mouvement des agriculteurs ?

À mon avis, le monde agricole conventionnel est terrifié : le dérèglement climatique fait s’effondrer toutes ses certitudes et les agriculteurs ne peuvent plus se projeter avec des canicules et des sécheresses qui s’intensifient. Des mesures économiques peuvent être prises pour répondre à la question des revenus, mais globalement, si on veut sauver l’agriculture et les agriculteurs, il faut faire la transition vers le bio.

Une agriculture paysanne et bio peut-elle nourrir la planète ?

Cela fait des années que de nombreuses études le montrent : celle de l’université d’Essex réalisée dans 53 pays, le rapport de l’ONU « Pesticides et droit à l’alimentation » en 2017, ou des scénarios sur la capacité de l’Europe à se nourrir en bio en 2050 (voir p. 13). Mais les mastodontes de l’agroalimentaire ne sont pas adaptés à l’agriculture bio. Aujourd’hui, un agriculteur conventionnel qui veut faire un pas de côté perd d’abord de l’argent. Les agriculteurs bio doivent donc vendre plus cher leurs produits pour vivre de leur métier. Mais si on intègre les coûts du modèle majoritaire sur la santé et l’eau, c’est plus cher pour toute la société. D’un point de vue citoyen et agroéconomique, l’agriculture bio est le meilleur modèle pour les habitant·es et la planète. Elle peut aussi s’adapter au dérèglement climatique.

Pourquoi l’agriculture bio est-elle mieux armée face au dérèglement climatique ?

L’agriculture bio a une adaptation très, très fine par rapport à son milieu, donc elle est beaucoup plus performante. Contrairement aux semences standardisées de l’industrie agroalimentaire, les variétés paysannes utilisées dans le bio ont des capacités d’évolution constante. La polyculture crée, entre espèces, une forme d’entraide pour résister à différents aléas et enfin une importante qualité des sols, qui permet de mieux retenir l’eau. Un sol bio laisse s’infiltrer 100 mm d’eau/h contre 1 à 2 mm pour un sol en conventionnel.

Pour aller plus loin sur la question de la souverainté alimentaire

Consulter les scénarios Afterres 2050 et TYFA (Ten Years For Agroecology in Europe) sur la capacité de l’agriculture biologique à nourrir les populations tout en réduisant les gaz à effet de serre.

IDDRI.org
afterres2050.solagro.org

Bio local : aussi en magasin

La Loire-Atlantique compte 471 distributeurs de produits bio. Biocoop, La Vie Claire ou des épiceries de proximité vendent exclusivement du bio, comme Chlorophylle, réseau coopératif qui a créé sept magasins depuis 1985 dans l’agglomération nantaise. Avec 2 500 produits locaux sur 9 000 référencés, Cédric Cadoret, directeur de Chlorophylle, travaille beaucoup avec des producteurs locaux pour les produits frais, quitte à payer plus cher :

Récemment, on nous a proposé 2 centimes de moins à l’unité pour des œufs de la Région Centre mais on est resté avec notre éleveur de Marsac-sur-Don. On préfère les partenariats durables. Toute la viande est locale également, on l’achète à la carcasse et elle est découpée dans notre labo, à Rezé. Le bio local respecte des normes exigeantes, donc il coûte plus cher. Le problème actuel, c’est vraiment le pouvoir d’achat des gens. » En attendant, il fait le dos rond pour absorber la baisse des ventes mais il reste optimiste : « Le bio, c’est la seule solution pour l’avenir !

Des effets positifs à soutenir

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La Loire-Atlantique a reçu le label Territoire bio engagé en 2022, ce dont nous sommes très fiers. L’agriculture biologique est particulièrement dynamique dans notre département avec 22 % de la surface agricole utile et 25 % des fermes. Mais comme partout en France, elle connaît des problèmes de débouchés, alors même que les lois Egalim devrait lui en assurer. Le Département a en moyenne dépassé 20 % de produits bio dans ses collèges publics et souhaite amplifier ce taux d’ici à la fin du mandat. Si nous voulons aller plus loin, c’est pour soutenir tous les bénéfices de ce système agricole : sur la santé de toutes et tous ; sur l’environnement et notamment les sols et l’eau ; sur la biodiversité et enfin sur la diminution des émissions de gaz à effet de serre, grâce à l’absence d’intrants chimiques et la vente en circuits courts, très souvent pratiquée. Si on veut développer l’agriculture bio locale, il faut accroître notre consommation locale mais en repensant la composition de nos assiettes pour équilibrer le porte-monnaie : choisir des produits de saison, manger plus de légumineuses, moins de viande mais de la viande de qualité, car c’est l’élevage qui maintient le bocage dont nous sommes si fiers en Loire-Atlantique.

Jean-Luc Séchet, vice-président délégué à l’agriculture, mer et littoral, voies navigables et ports.

Pour aller plus loin

Le Département obtient le label "Territoire BIO Engagé"

Le Département engagé pour une alimentation locale, saine, durable et accessible à tous

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